Lenzlinger et l’ex-mari de Mariette étaient-ils agents de l’Est ?

Objectif Sécurité


Lenzlinger et l’ex-mari de Mariette étaient-ils agents de l’Est ?

Lenzlinger, l'ex-mari de Mariette Plateau et peut-être Nihoul ont-ils travaillé pour les services secrets Est-allemand.


Voulant en savoir plus, j'ai tenté de retrouver d'anciens collaborateurs de Lenzlinger et de la société Aramco.


Mes recherches ont été couronnées de succès, j'ai découvert un homme aujourd'hui âgé de 59 ans. Appelons le HEINZ. Il vit modestement dans le Benelux avec sa femme et ses deux enfants.


Il a très bien connu Lenzlinger. C'est la société Aramco qui l’a fait passer de l’Est à l'Ouest.


Après beaucoup de réticence, il a accepté de me relater son histoire.


Récit de Heinz


Après m'avoir dit pour la nième fois qu'il ne répondrait à aucune de mes questions et que de toute manière, il ignorait tout des affaires que je lui parlais, Heinz se leva, prit son manteau.


Devant ce mur de silence, je décidais de jouer la carte du cœur et m'adressais à lui en ces termes.


"Heinz, une pauvre mère de famille est incarcérée à vie pour un meurtre qu'elle n'a pas commis et votre témoignage pourrait l'aider. Je vous en supplie pour une fois, faites preuve d'humanité. Soyez un homme."


Réponse de Heinz :


"Peu importe, je n'ai rien à dire, je ne sais rien, allez-vous comprendre à la fin."


Le ton était menaçant. Devant ce nouveau refus, je tentais une ultime et dernière démarche :


"Vous me racontez votre histoire et en revanche, je vous jure que vous n'entendrez plus parler de moi. J'oublierai jusqu'à votre nom, votre visage et surtout, personne ne saura jamais comment je vous ai retrouvé."


Heinz reposa son manteau et se rassit face à moi. Il me regarda droit dans les yeux. Cette inspection dura plusieurs minutes. Les yeux gris fixés sur moi étaient tellement perçants que je sentais un malaise m'envahir. Une sorte de panique !

Peut être avais-je un vrai tueur en face de moi ?


J’ignore suivant quels critères il était en train de me juger, mais tout à coup se fut le dégel. Son visage s’éclaira d’un large sourire et il me dit :


"OK, j'ai entièrement confiance en votre parole, je vais vous raconter mon histoire ou plutôt celle de Lenzlinger. Mais, Vous me jurez que vous ne révélerez jamais à personne ni mon nom, ni la manière dont vous m'avez retrouvé Vous comprenez, je dois penser à ma famille qui m'attend chez moi. Je ne voudrai pas qu'il leur arrive quelque chose parce que j'ai été trop bavard. Malgré le temps écoulé, je pourrai subir le même sort que Lenzlinger et vous aussi d'ailleurs."


Heinz jette un regard inquiet autour de lui. Nous nous isolons et je l'écoute retracer son histoire :


Les colonnes qui suivent se lisent comme un passage d'un roman d'espionnage.


"En 1973, j'étais emprisonné à Leipzig pour délit de faux monnayeur. Je n'avais jamais envisagé de passer à l'Ouest. A l'époque, c'était un crime d'ailleurs.

Un jour, j'ai reçu dans ma cellule la visite d'un officier traitant. En tout cas, c'est le titre qu'il se donnait. Il me demanda si j'avais envie de sortir de prison.


Etonné, je demandai : Comment, il me reste plus de 10 ans à tirer.


L'officier traitant me répondit en souriant : dans votre genre, vous êtes un as. Vous avez parfaitement imité notre monnaie. Seriez-vous capable de reproduire avec la même perfection le dollar, des billets suisses, belges, français, italiens, hollandais, créer de faux documents d'identité, des passeports etc ...


Je répondis : Je pense que oui.


Toujours souriant, l'officier traitant me dit : Et bien, dites que vous êtes volontaire pour une mission économique en Suisse, vous serez libre et vous rendrez ainsi un fier service à vote pays.


Interloqué, je demandai une explication supplémentaire.


L'officier traitant m'expliqua : Vous allez vous échapper et passer à l'Ouest comme réfugié.


Je demandai : Et mon statut de réfugié ?


Réponse de l'officier traitant : Ne vous tracassez pas, aucun réfugié en provenance de l'Est n'est jamais refoulé par les autorités de l'Ouest. Vous passerez le rideau de fer le 18 janvier 1974 avec les gros bras de la société Aramco.

J'étais réticent et dit : Et si on se fait prendre, je risque d'être tué.


L'officier traitant répondit : Aucun risque, nous contrôlons cette société. Votre mission sera d'ailleurs de transmettre tout votre savoir de faussaire à son dirigeant.


Et si je refuse !


L'officier traitant pinça les lèvres et haussa les épaules : Vous voulez passer le reste de votre vie en prison, non, n'est-ce pas. Alors, vous êtes volontaire !


Je n'avais aucune envie d'aller à l'Ouest enseigner des techniques de faussaire à je ne sais qui pour le compte des communistes, mais je ne supportais pas l'idée de passer le reste de ma vie en prison. J'acceptai donc la proposition.

Le 18 janvier 1974, je franchis le rideau de fer avec 2 autres réfugiés. Ils s'agissaient de jeunes femmes, 2 sœurs respectivement âgées de 18 et 23 ans.

Je ne les revis jamais, j'ignore ce qu'elles sont devenues. Elles auraient peut-être été vendues à un proxénète hollandais.

Après ma fausse évasion, je rencontrai Lenzlinger. Son équipe comportait 5 hommes, je devins le 6ième.


"Connaissez-vous les noms de vos 5 collègues, l'interrompais-je ?"


Heinz ignora ma question et continua son récit. Je restai assez de temps avec Lenzlinger pour comprendre qu'il travaillait pour les services secrets Est-allemand, qui à l'époque étaient inféodés aux Russes.

Lenzlinger avec le grade de manipulateur, une sorte d'organisateur de sabotage économique. Lui seul avait des contacts avec l'Est. De cette manière, si l'un d'entre nous se faisait prendre, nous n'aurions pu trahir que Lenzlinger et il aurait été impossible aux autorités de remonter plus loin.


Lenzlinger buvait beaucoup et dans ces cas-là, il lui arrivait de se vanter. Un soir, il se vanta d'être un personnage important pour l'Est, il avait suivi à Berlin Est un cours d'agent de subversion politique et de sabotage économique, ainsi qu'un cours de parfait cambrioleur : percer des coffres, ouvrir des portes ; faire sauter des bâtiments etc.   faisaient partie de ses connaissances.


A la longue, je compris qu'il existait dans toute l'Europe des cellules semblables à celle de Lenzlinger. Toutes indépendantes les unes des autres. Leurs missions étaient de saboter l'économie de l'Ouest, créer des sociétés, faire un maximum de dettes, puis déclarer les sociétés en faillite. Promouvoir la prostitution, les trafics d'armes, de drogues, commettre des meurtres et cambriolages faisaient aussi partie de la mission de certaines cellules. Une des règles était de ne jamais revendiquer nos actions, de ne jamais se laisser prendre et de tout nier en bloc si la justice s'intéressait à l'un d'entre nous.

Pendant le temps passé avec Lenzlinger et sa bande, j'appris à bien le connaître. Lenzlinger était une crapule, il avait un cœur non pour les sentiments, mais pour la jeune chair fraîche. Tant avec les humains que les animaux, c'était un véritable sadique, une brute imprévisible. On le connaissait bien à Zurich, il habitait une somptueuse villa où il organisait de très nombreuses fêtes intimes et très chaudes auxquelles assistaient de très jeunes filles. Il entretenait aussi toute une succession de maîtresses. Il gardait rarement une femme plus de quelques semaines. Il me répétait souvent qu'une femme cela se jette après usage.


Un soir qu'il était saoul, il m'avoua : Tient, celles qui sont passées avec toi, elles avaient de belles jambes, mais pas de cervelle. Elles étaient persuadées qu'à l'Ouest, elles allaient devenir actrices. Au lieu de cela, elles sont dans un bar en Hollande. Je les ai vendues à un proxénète. La drogue, les femmes et les armes sont un marché florissant. Mes affaires marchent bien et j'ai des clients dans le monde entier.


Comme il me l'avait été demandé avant ma fausse évasion, j'initiais Lenzlinger à la fabrication de fausse monnaye et de faux papiers.


Je pense qu'après son meurtre, la justice a d'ailleurs découvert dans sa villa de nombreux faux documents et un outillage sophistiqué de falsification. C'était mon matériel.


Un jour tout excité, il me dit : Il m'arrive une chose incroyable, un sale type habitant Bruxelles me doit une véritable fortune et il refuse de payer. Sa mère veut bien payer, mais lui il refuse. S'il ne paye pas, on le flinguera avec toute sa famille et même s'il paye ajouta-t-il en riant, on les flinguera quand même.


Faire des faux, cela allait. Mais participer à des crimes jamais. Depuis un certain temps, j'avais pris la décision de fuir Lenzlinger, en finir avec toute cette saleté morale. Cette histoire de meurtre précipita ma décision. Le lendemain, je m'enfuis, je me suis installé dans le Benelux et je n'ai plus jamais revu Lenzlinger et le reste de la bande.

Peu après, j'ai appris sa mort par les journaux. J'ignore qui l'a tué, mais celui qui l'a fait a débarrassé la société d'une belle ordure.


"Deux dernières questions, Lenzlinger était-il payé par l'Est ? Et le mari de Mariette P. faisait-il partie de la structure ?"


Heinz : Lenzlinger prétendait travailler pour l'Est sans rémunération pécuniaire. En échange des renseignements, dossiers fournis, faux papiers etc ... les gardes avaient la consigne de laisser passer les réfugiés emmenés par les gros bras d'Aramco. Souvent des personnes ciblées accompagnaient de vrais réfugiés. Leurs missions faire n'importe quoi pour affaiblir l'économie de l'Europe. Quant au mari de Mariette P., cela devait être le dirigeant d'une cellule belge, un manipulateur dirigeant une équipe de 5 à 6 personnes.


Compliqué tout cela, j'en conviens ! Mais, à l'époque, c'était la guerre froide. En ce qui me concerne, je n'ai accompli aucune mission pour les communistes, j'ai simplement initié Lenzlinger à la fabrication de fausse monnaye et de faux documents. Je n'ai jamais participé à ces orgies, assassinats etc ...

Je le répète, j'ignore qui l'a tué. Si c'est le mari de Mariette P., il a bien fait car Lenzlinger avait programmé la mort .de toute sa famille.


A la question ne pensez-vous pas qu'il serait moral d'informer la justice de ce qui précède et de donner à la justice les noms de tous les complices de Lenzlinger.


Heinz se raidit et répond : Depuis la mort de Lenzlinger, je n'ai plus eu de contact avec ce milieu. Tout le monde m'a oublié, je suis maintenant un homme marié, j'ai des enfants que j'adore, je vis comme le citoyen le plus paisible de la terre. Je suis sorti de ce milieu sans trop y croire. On m'a oublié, mais on ne sait jamais, ils pourraient se souvenir et alors, je serai en péril, ma femme et mes enfants également.


Vous ne pouvez comprendre, je ne veux pas avec ma famille peupler le cimetière. Ici s'achève le récit de Heinz, il se lève, prend son manteau, me serre la main et disparaît en me disant : Adieu, n'oubliez pas, j'ai votre parole.


Je n'ai aucun élément, je n'ai aucune preuve véritable pour accréditer le récit de Heinz, mais il m'a paru sincère. Il est vrai qu'il se dégage de lui, je m'en rendais compte en l'écoutant parler, une sympathie réelle.


Léon Roufosse.